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Aujourd'hui, j'ai accouché de mon foetus mort.



« Il n'y a pas de mouvements cardiaques et vu la taille du fœtus, cela fait depuis plusieurs semaines que la grossesse est arrêtée.

-Ok... Vous êtes en train de dire que je porte un fœtus mort, c'est ça ?

-Je dis juste que je ne vois pas de rythme cardiaque, me répète l'interne urgentiste très pédagogue.

-... Et quelle va en être la suite ? »


Le médecin aborde l'aspiration : plus efficace, plus surveillée, moins douloureuse. Pour qui ? Peut-être pour moi... Je n'sais pas.

Il est 3h30 du matin, j'attends aux urgences gynécologiques depuis 16h. Je me sens fatiguée et endolorie. Un RDV avec l'anesthésiste semble être évoqué, « mais on est sûr de rien. Ils sont en grève en ce moment» rajoute-t-il. Il parle ensuite du traitement médicamenteux, sans le conseiller vraiment. « Cela peut être douloureux et il faudra refaire des examens pour vérifier la vacuité utérine ». Les termes techniques sont posés.

Cela me rassure. En deux mois et demi de grossesse, je n'ai pu consulter aucun médecin. C'est la crise ma p'tite dame, fallait prendre RDV avant de tomber enceinte. Je prends de plein fouet l'absurdité des soins en France. (J'exagère à peine).


Je questionne le jeune médecin, assidûment, sur toutes les possibilités et conséquences de chaque choix. Ma rationalité a pris le dessus. Comprendre ce qui va se jouer et comment ça va se jouer pour donner l'illusion du contrôle. En cet instant précis, mon système de protection se met en mode factuel et me permet d'échapper à cette perte de sens, d'incohérence et de violence émotionnelle.

Le médecin, calme, patient, prend le temps de répondre à toutes mes interrogations.

« Merci docteur ! »


4h. On sort des urgences. Je regarde Alex et dis d'un calme presque glacé :

« Je ne ressens rien ! Je ne sais même pas quoi ressentir. Je me sens totalement anesthésiée émotionnellement...C'est vraiment particulier.

-Ça ira mieux après avoir dormi un peu. Tu verras comment tu te sens demain. Faudra annoncer la nouvelle à notre entourage...aussi... 

-Oui. Je vais le faire maintenant, ça sera fait ! »


Je repense au premier mois où j'ai appris la nouvelle. Une première grossesse à 41 ans,

non désirée, alors que j'entamais une spécialisation dans le deuil et la mort...

C'est cocasse quand même ! La vie, farceuse, et un tantinet provocatrice nous faisait un cadeau et je me voyais déjà faire des conférences sur la mort avec un bidon empli de vie.

Dès le début, j'ai voulu le partager avec nos familles et mes amis. Alex, plus réticent, ne voyait pas l’intérêt de parler de cette nouvelle vie à venir tant qu'un risque de fausse couche existait.

Faut dire que les statistiques jouaient contre nous ; 34% de risques de faire une fausse couche passé 40 ans. Dans fausse couche, j'inclus la grossesse arrêtée qui fut mon cas, l’œuf clair et la grossesse extra-utérine. Puis, on sait bien que dans la société actuelle, parler de sa grossesse avant les trois mois fatidiques est une hérésie. On ne veut pas se porter malheur, décevoir, se justifier etc. Moi, je vivais les choses autrement.


« Écoute Alex, vivre une grossesse ce n'est pas rien ! Je suis traversée par tout un tas d'émotions, de douleurs physiques... J'ai besoin d'en parler. Et si jamais, je fais une fausse couche, j'aurai aussi besoin d'en parler donc autant prévenir celles et ceux qui vont m'accompagner dans cette expérience. 

-Ok ! C'est toi qui le ressens dans ton corps. Fais comme tu le souhaites. »


13h30. Je me réveille à peine et mon téléphone ne cesse de biper. Je reçois tout le soutien de ma famille et de mes amis. Á la lecture de leur message, je réalise enfin ce qu'il vient de se passer et me mets à pleurer. Le vide émotionnel de cette nuit, s'est transformé en abondance de larmes. De tout mon être coule cette tristesse, salvatrice. Elle dégouline, elle suinte et ne cesse de se répandre, pendant plusieurs heures.

« Putain, j'ai mis un mois à accepter cette grossesse, et là je dois accepter de laisser partir mes projections, nos projections sur une vie à trois. »





Alex ne transpire pas ses émotions, lui, juste il en parle. On évoque ensemble tous les deuils à venir et je vois dans ses yeux l'inquiétude de ce que mon corps va subir prochainement.


16h15. Des douleurs me sortent de ma léthargie. Ces douleurs viennent par vague et elles sont intenses. Á chaque nouvelle onde, j'expire profondément pour gérer la douleur. Alex soucieux me regarde faire un peu interloqué. Plus le temps passe, et plus ces crispations pelviennes se rapprochent.

Mon téléphone n'arrête pas de sonner : ma sœur ! Elle insiste ! Je profite d'une accalmie pour lui textoter mon incapacité à communiquer.

18h15. Je peine à gérer ces contractions. Je sens que mon corps veut expulser quelque chose. Quand je me concentre sur la zone, des images me viennent. Je vois, je sais ! Mon corps a choisi d'évacuer seul le fœtus. C'est drôle quand même, il a suffit que mon conscient sache pour que mon corps agisse.

Sophie est toujours là, à l'autre bout de la France et m'encourage par message interposé « laisse faire ton corps, il sait. » dit-elle.

Et là, à 18h37, sur une dernière contraction et expiration, je sens une masse me traverser. La délivrance ?! Suite à ce passage, je ne ressens plus de douleurs mais reste, toutefois aux aguets. Dix minutes plus tard, je décide de me lever enfin des toilettes et de regarder. Oui ! De regarder ! De conscientiser encore et toujours ce qui est là, dans cette cuvette de chiotte. Mon corps vient littéralement d'expulser la poche gestationnelle. Je reste là, seule, dans cet espace figé encore quelques minutes puis sors rejoindre Alex :

« Je viens d'accoucher du fœtus. Est-ce que tu veux voir ? »

Alex hésite quelques secondes puis répond à l'affirmative.

« Je te préviens, c'est Tchernobyl là dedans... Au-delà des odeurs, il y a du sang partout. Est-ce que tu es toujours ok pour voir ? »

Sa curiosité est la plus forte. Penché au-dessus des WC, il commentera :

« Et là on va foutre notre projection dans le réseau d'assainissement de la ville...»

Je souris. Cette phrase si trash révèle la réalité crue, brutale et violente de la fausse couche à domicile. Se confronter à cette réalité est la première étape du deuil. Merci chéri !


Il faudra des semaines à mon corps pour s'en remettre. Il me faudra des jours pour ne plus énergétiquement me sentir enceinte et il me faudra des heures pour renoncer à cette chose extra-ordinaire que j'allais vivre. Par la suite, mes projets m'ont semblé tellement fadasses et sans intérêt face à « DONNER LA VIE »...


Cet événement m'a beaucoup apporté.

En premier lieu, mon corps est fabuleux. Il possède une sagesse et un savoir, infinis. Il agit, simplement et en respect avec ma conscience. Je le maltraite souvent, le dénigre constamment. Pourtant ici, il m'a montré son amour et son soutien. Grâce à lui, j'ai vécu TOUT le processus et éprouvé un accouchement naturel, certes de 2 mois et demi au lieu de 9, mais j'ai ressenti dans mon corps, de façon totale et entière le début et la fin.


Donner la vie, la porter, symbolisent la puissance la plus suprême. Cet épisode reste la leçon la plus incroyable vécue jusqu'alors. Les femmes sont sacrément badasses.


Puis, endurer cette perte m'a confortée dans cette idée de libérer la parole.

Comment font ces femmes qui se taisent et vivent leur début de grossesse et leur fausse couche en huit clos ? Comment font ces femmes pour faire leur deuil sans le soutien de leur proche ?

Les fausses couches banalisées par leur nombre n'en restent pas moins anodines...

Parlons-en !






Merci pour votre lecture bienveillante et un IMMENSE MERCI aux membres de nos familles et amis pour leur témoignage, leur présence et leur amour.


P.s : La libération a eu lieu le 6 janvier. Les mots posés le 31 janvier facilite la réappropriation de mon histoire ainsi que sa réparation.



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